lundi 8 octobre 2007

Histoire de la Hongrie - Eveil national et romantisme : l'ère des Réformes (1825-1848)

La Hongrie profite d’une ère de réformes entre 1825 et 1848, engendrant la modernisation de l’urbanisation, des infrastructures routières, ferroviaires et fluviales grâce aux mesures prises par les despotes éclairés. Si Joseph II a échoué à réformer en profondeur la société hongroise, il a cependant permis, dans la lignée de Marie-Thérèse, d’améliorer significativement la santé et l’instruction publiques.

Amélioration de l’instruction publique
La loi sur l’instruction publique obligatoire augmente significativement le niveau d’instruction, faisant reculer l’analphabétisme et permettant la multiplication des établissements scolaires.

Le Collège Eötvös est crée sur le modèle de l’Ecole normale supérieure de Paris, une seconde université est fondée à Kolosvàr en 1872, puis deux autres à Debrecen et Pozsony en 1910. Elles accueillent toutes les minorités et enseignent en langue maternelle.
Ces mesures permettent de faire germer une bourgeoisie qui occupera un rôle grandissant au XIXe siècle et qui est à la base de l’essor du milieu associatif.
« Contrastes toujours : le « processus de civilisation » en Hongrie doit beaucoup aux Habsbourg éclairés du XVIIIe siècle ainsi qu’à l’esprit d’équité du François-Joseph de l’époque du dualisme. »[1]

Essor du milieu associatif
Ainsi, structures et valeurs archaïques cohabitent avec la modernité bourgeoise, véhiculée par l’essor du milieu associatif. C’est à l’aune du développement associatif que se mesure la modernisation de la Hongrie. Si au XVIIIe siècle elle ne compte qu’une cinquantaine de compagnies et confréries, en 1840 on en dénombre deux cent cinquante.

« Ce qui est le plus significatif (…), ce n’est pas le sous-développement généralisé, mais la coupure entre l’immobilisme du monde « archaïque », post-féodal ou «semi-féodal » d’un côté, et, de l’autre, le dynamisme du monde nouveau, marqué par la montée de la bourgeoisie. (…) c’est la vie associative qui montre peut-être le mieux la permanence de la tendance modernisatrice en dépit du poids mort de l’archaïsme. »[2]

Avènement de l’ère libérale
En Hongrie, l’enrichissement d’une certaine catégorie de la population, une bourgeoisie citadine, engendre également l’expansion du courant libéral et la revendication de la liberté et de l’égalité. Le colonel Gérard Lacouée et le marquis-citoyen Leay-Marnésia, cités par Miklos Molnàr, font le rapport suivant à Napoléon Bonaparte sur la Hongrie :

« Il y a peu de Hongrois qui n’aient en haine les Autrichiens ; en mépris la Maison régnante ; en admiration les armées françaises. [Mais malgré ces dispositions, poursuit le rapport] il me paroît douteux que le général Bonaparte fût parvenu à déterminer une révolution, soit populaire, soit tout autre. [Les paysans] pourraient être poussés à la révolte [mais pas à la révolution]. La liberté ne leur resteroit pas parce qu’ils en sont trop loin. [S’ils avaient fait un mouvement, cela] auroit été en faveur de la Maison d’Autriche qui les protégeoit contre les seigneurs qui les oppriment. [La seule possibilité, quoique très difficile, aurait été, selon lui, de détacher le royaume de Hongrie de l’Autriche et de] rétablir la noblesse dans la plénitude de ses droits. [Mais, ajoute-t-il] l’Autriche est près, la France est loin. (…) Les Ràkoczi ni les Thököly ne sont plus. Les Hongrois de nos jours ont appris à se gouverner par leurs calculs plus que par leurs passions [et les chefs potentiels] entend-il murmurer, sont la plupart vendus à la Couronne. (…) La bourgeoisie n’est pas assez pauvre pour être séditieuse ; elle l’est trop pour avoir de l’ambition. »[3]

Ce rapport montre que la Hongrie a amorcé un changement : d’une part, la noblesse semble moins forte qu’auparavant ; d’autre part, l’ouverture du despotisme éclairé a permis la formation d’une bourgeoisie, certes en gestation mais plus active socialement.

La Diète et le peuple : la noblesse en tant que moteur
En Hongrie, les revendications politiques développées au sein des associations sont portées par la Diète, uniquement composée de nobles. Cependant, si celle-ci défend devant Vienne l’autonomie hongroise, les droits civiques et les intérêts économiques et commerciaux, elle reste sourde, dans un premier temps, tant aux revendications de sa population asservie qu’aux autres minorités nationales et notamment croates. Ce grand écart entre revendications nationalistes et refus de modernisation lui est cependant bien inconfortable : quelques réformes lui seront ainsi arrachées en matières fiscales et sociales. Comme l’écrit Miklos Molnàr, « par une « astuce de l’histoire », il incombe précisément à la noblesse, accrochée à ses privilèges, de les abolir et de remplir, à défaut d’une véritable bourgeoisie, le rôle historique de cette dernière. »[4] Ainsi, c’est de la noblesse même que sont issus les réformateurs revendiquant la modernisation du pays et l’abolition de la féodalité, qu’ils soient modérés comme Istvàn Széchényi ou radicaux comme Lajos Kossuth. Ce sont eux qui se heurteront au pouvoir des magnats soutenus paradoxalement par les Habsbourg pour garder la main mise sur pays. Lajos Kossuth, issu de la petite noblesse, montre que c’est cette classe qui joue en Hongrie celui joué en France par la bourgeoisie : la revendication de l’égalité entre tous dans un contexte d’enrichissement économique et commercial. Réussissant à allier revendications populaires et nationalisme, Lajos Kossuth sera le meneur de la révolution de 1848. Ainsi, « l’activité de la classe politique aux diètes s’est poursuivie conjointement avec celle de la société, une société civile en gestation. (…) toute la Hongrie a été à l’époque un chantier d’idées et d’actions novatrices. »[5]

Libéralisme et démocratie
La Hongrie porte donc également en germe l’opposition entre libéralisme et démocratie. Les revendications d’égalité sont initialement portées par la noblesse et la bourgeoisie ascendante visant à instaurer un libéralisme permettant l’enrichissement des élites. La démocratie, elle, est portée par le courant nationaliste. C’est pourquoi les révolutions françaises et hongroises de 1848 sont similaires du fait qu’elles s’appuient sur des bases démocratiques, mais dissemblables dans le sens qu’en Hongrie, elle n’aurait pas pu être revendiquée sans que le nationalisme fédère l’ensemble de la population.

Le courant démocratique au début du XXe siècle
Lorsque que le courant démocrate réapparaît dans un contexte de conflits politiques au début du XXe siècle, il subit déjà l’influence du courant socialiste. En effet, guidé par des personnalités telles que le poète Endre Ady et le sociologue-historien Oszkàr Jàszi, il s’appuie alors sur des sociologues regroupés en associations telles que la Société des sciences sociales et des revues comme Huszadik Szàzad (Vingtième siècle) et Nyugat (Occident). Il préconise des transformations sociales et non politiques notamment en s’abstenant de voter, ce qui est également à la base du socialisme français.

Leurs influences sont diverses : le positivisme, Herbert Spencer, la sociologie de Durkheim, Vilfredo Pareto, ou encore l’anarcho-syndicalisme, le marxisme et l’évolutionnisme. C’est cette hétérogénéité mais aussi et surtout l’absence d’assises sociales qui concourt à leur faible succès. En effet, ces intellectuels, juifs pour une bonne moitié, ne parviennent pas à obtenir l’appui d’une bourgeoisie encore fragile et peu soucieuse des problèmes sociaux. Démarqués également du mouvement ouvrier influencé par le marxisme, ils tentent d’incarner selon l’historien Miklos Szabo une « troisième voie » qui reste du domaine de l’utopie. Le mouvement finit par se diviser, les plus radicaux fondant en 1908 le cercle Galilée, comptant également des socialistes et de futurs communistes.

« Ces lectures éclectiques ne peuvent pas former une idéologie cohérente, mais ont le mérite d’insuffler une nouvelle culture politique, démocratique, pluraliste, européenne. Les radicaux ont le courage de semer sans l’espoir réel de récolter. La quasi-indifférence de la majorité des radicaux à l’égard de l’économie, tant théorique que réelle, ne fait que diminuer encore l’espoir d’exercer une influence significative sur la société. Il est difficile de se battre contre tout un monde ; c’est se faire beaucoup d’ennemis et peu de partisans. »[6]

Ancrage durable du libéralisme en Hongrie
Contrairement à la France, le libéralisme s’ancre durablement en Hongrie : la révolution démocratique de 1848 est un échec. C’est donc la voie du compromis libéral qui va être suivie, jusqu’à déboucher sur le compromis austro-hongrois de 1867. Celui-ci consacre le suffrage censitaire. Le droit électoral sera fondé sur le titre, permettant à la noblesse de conserver son pouvoir.

Essor de la gentry
C’est donc la « gentry », la noblesse appauvrie, qui devient le pilier de l’administration magyare.
« Le « grand vieux parti libéral » fonctionne sans doute à la faveur de l’enchevêtrement des intérêts des classes aisées, terriennes et bourgeoises, qui constituent la majorité de l’électorat de la classe politique. En effet, aux côtés des magnats et des nobles, la bourgeoisie et les élus de professions libérales, en majorité des avocats, remplissent les travées du Parlement, les clubs et casinos politiques, les conseils d’administration des journaux, des banques et des entreprises. Le caractère de classe dénoncé par l’historiographie de gauche ne fait pas de doute – tout comme c’est le cas ailleurs dans le monde. On l’appelle aussi « parti des clubs » »[7]


C’est dans les clubs que se prennent les décisions, notamment au Casino national, fréquenté uniquement par l’aristocratie. Si la Hongrie profite d’une époque de progrès durable grâce au développement de l’économie, de l’urbanisation, de la scolarisation, des sciences et des arts, elle reste marquée par l’injustice sociale et l’exclusion des minorités nationales. La classe politique libérale nouvellement formée maintient les fortes inégalités héritées du système féodal : les latifundia sont maintenues, sur lesquelles travaillent une immense paysannerie prolétarisée. Parallèlement, le capitalisme et la révolution industrielle engendrent la naissance d’un prolétariat industriel et avec lui, du parti social-démocrate qui luttera pour la défense des ouvriers.

Maintien des inégalités

Ainsi, 0,03 % de la population détient plus de 8, 7 millions d’hectares de terres. En contrepartie, la partie la plus pauvre de la population – travailleurs agricoles, paysans pauvres, journaliers, ouvriers, etc – représentent près de 73 % de la population.
Entre les deux se développe cependant une bourgeoisie urbaine venant s’ajouter aux propriétaires terriens moyens, formant une nouvelle classe s’élevant à 22 % de la population. Cette diversification sociale est présente jusque dans le vocabulaire hongrois, qui lui consacre un terme : « polgàrosodàs », désignant un processus d’embourgeoisement. Comme en France, la bourgeoisie est avant tout soucieuse de se fondre à la noblesse, d’autant plus que cette dernière garde le pouvoir : l’aristocratie et la noblesse occupent l’Assemblée, l’administration et les professions libérales presque exclusivement composées de la gentry, la noblesse appauvrie.
L’alliance entre la noblesse foncière, le haut fonctionnariat et les roturiers les plus riches constitue la classe moyenne et politique. Elle se nommera plus tard « classe moyenne seigneuriale chrétienne ».
« Derrière les chiffres qui témoignent du développement du capitalisme se trouve une société coupée en deux, moderne et dynamique d’un côté, allant au ralenti de l’autre. »[8]

Par ailleurs se développe à Budapest une forte bourgeoisie juive, présente dans la vie économique, la presse, l’édition, le théâtre et les professions libérales. Elle représente au total pas moins de 23% de la population de Budapest, contre 7% à Vienne.

Ainsi, bourgeoisie et noblesse s’unissent pour partager le pouvoir comme l’avaient fait les Français au sein des salons prérévolutionnaires.
Budapest est le lieu par excellence des cafés, des clubs culturels, artistiques et intellectuels. Le théâtre profite également d’un essor important.

A la Hongrie s’ouvre alors deux choix pour se réformer : la révolution démocratique ou bien la révolution socialiste. En effet, en pleine effervescence associative, l’Etat interdit et poursuit deux types de mouvements : les sociétés des minorités nationales et les mouvements socialistes industriels et agraires, d’après le décret promulgué en 1875. Le nom même de « social-démocrate » est interdit, même si le parti ouvrier s’organise sous ce nom en 1890. Beaucoup d’obstacles administratifs se dressent sur sa route et il fait l’objet d’une brutale répression en 1906.

[1] Miklos Molnàr, Histoire de la Hongrie, op. cit. Page 303.
[2] Miklos Molnar, La démocratie se lève à l’Est, « Société civile et communisme en Europe de l’Est : Pologne et Hongrie », Presses Universitaires de France, 1990, Paris. Page 44.
[3] Miklos Molnàr, op. cit. Page 224.
[4] Miklos Molnàr, op.cit. Page 231.
[5] Miklos Molnàr, Histoire de la Hongrie, op. cit. Page 231.
[6] Miklos Molnàr, Histoire de la Hongrie, op. cit. Page 315.
[7] Miklos Molnàr, Histoire de la Hongrie, op.cit Page 285.
[8] Miklos Molnàr, Histoire de la Hongrie, op. cit. Page 300.

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