lundi 8 octobre 2007

Histoire de la Hongrie - Eveil national et romantisme : le nationalisme hongrois

Division ethnique - 1910
54,4 % Hongrois
16,1% Roumains
6,6 % Serbes et Croates
10,4 % Allemands
10,7% Slovaques
2,5% Ruthènes
1,7 % autres
La magyarisation n’a donc pas été profonde, si ce n’est dans les villes allemandes et juives.

Religion
49 % catholiques
14% calvinistes
12,8 % orthodoxes
11 % uniates
7,1 % luthériens
5% juifs


Le courant nationaliste traverse toute la Hongrie du XXe siècle.

Cf. Sunshine de Istvàn Szabo (1999) avec Ralph Fiennes.

Si la révolution hongroise de 1848 est démocratique, elle est avant tout nationaliste. La littérature romantique et nationaliste, la modernisation et la défense de la langue hongroise sont les fers de lance du mouvement réformateur au sein de la société. Si Joseph II interdit les cercles et fait fermer les bibliothèques, qui seront soigneusement épurées avant leur réouverture en 1811, le mouvement nationaliste est repris par les cercles littéraires estudiantins maintes fois interdits et reformés clandestinement, même si les règnes de François Ier (1792-1835) puis celui de Ferdinand V (1835-1848) sont marqués par un retour à l’autoritarisme pur et dur et à une prolifération des espions.

Le nationalisme s’affirme également sur le terrain économique, puisqu’un mouvement porté par Kossuth comptant environ 50 000 membres, parmi lesquels des nobles, des bourgeois, des ouvriers et des paysans défend l’économie nationale. Cette Association pour la Protection de l’Industrie Nationale, créée en 1844, encourage ses membres à acheter uniquement la production hongroise. Il est intéressant de remarquer qu’une association de type identique existe aujourd’hui en Hongrie.

Les associations de défense de l’identité nationale
Ainsi, l’effervescence associative se développe en réaction contre Vienne : de nombreuses associations sont alors créées pour défendre la langue hongroise et la culture nationale. Dans les années 1790, des associations appelées « cercles de lecture » sont crées majoritairement par les intellectuels et les nobles influencés par les Lumières. Peu d’entre eux remettent en cause la prééminence nobiliaire, qui dirige le pays par l’intermédiaire de la Diète et des comitats. Si les nobles se battent majoritairement pour l’identité nationale et le maintien de leurs privilèges, une minorité est cependant influencée par la Révolution française et s’oppose au système féodal : des clubs de Jacobins sont crées en Hongrie – même si leur nombre a été surestimé par l’historiographie viennoise et communiste –, ayant pour but la libération du joug habsbourgeois et la transformation de la Hongrie en République indépendante. Ainsi, le poète hongrois Jànos Batsànyi, cité par Miklos Molnàr, écrit :[1]
« Et vous, bourreaux de serfs, vous dont la raison d’être
Est de faire couler le sang dans vos pays,
Ouvrez plutôt les yeux : vous verrez apparaître,
Le destin que pour vous on écrit à Paris. »

(Traduction de Guillevic et de J. Rousselot)

Le vent révolutionnaire radical souffle également en Hongrie mais ne s’y accroche pas. Terrifiés par la radicalisation jacobine en France et les révoltes paysannes en Roumanie, les magnats craignent de perdre le pouvoir. L’armée révolutionnaire ne libère pas la Hongrie du servage : c’est la révolution démocratique et nationaliste de 1848 qui s’en charge.

Comme nous l’avons étudié ci-dessus, la révolution de 1848 consacre la défaite de la démocratie au profit du libéralisme et du nationalisme. Au début du XXe siècle, le vieux parti libéral échoue à son tour sur pression des indépendantistes : le gouvernement Werkele élu en 1906 poursuit une politique résolument nationaliste, antisocialiste et antidémocratique. Quand les libéraux reviennent au pouvoir en 1910, ils se nomment déjà « parti national du travail » et mènent une politique antisociale et réactionnaire, écrasant les minorités au profit de l’identité hongroise.


Le régent Miklos Horthy
Après la défaite de la République des Conseils, c’est à la tête de l’armée nationale que Miklos Horthy entre dans la capitale le 16 novembre 1919. S’ensuit une répression impitoyable des communistes, des socialistes, des démocrates, des franc- maçons mais aussi des Juifs. Car dans le prolongement du courant social-démocrate initié par les sociologues du début du siècle, les Juifs choisissent le camp des socialistes puis des communistes. Sous la Terreur blanche, l’antisémitisme est virulent : le numerus clausus est introduit à l’université, les jugements sommaires se multiplient, certains journalistes sociaux-démocrates sont assassinés.
Parallèlement, le régime Horthy marque le retour en force de l’aristocratie, de la gentry appauvrie et des propriétaires terriens. La façade libérale demeure par le maintien du régime parlementaire et l’Etat de droit.
« Il sera encore question de la formation d’une nouvelle bourgeoisie, de son rôle sans doute grandissant, de son idéologie et de sa mentalité, mais le caractère nobiliaire des hautes sphères de la nation, ce caractère hérité des siècles d’histoire, s’est transplanté du terreau de la Hongrie historique à celui de la Hongrie mutilée. (…) l’irrédentisme constitue le dénominateur commun de toutes les couches plus ou moins aisées de la société. (…) passéisme nostalgique.» [2]

Cependant, le gouvernement Bethlen tempère encore dans un premier temps l’autoritarisme du régime en levant la censure du parti social-démocrate, en atténuant le numerus clausus et en rétablissent la liberté des médias. Mais les mentalités féodales ne permettent pas d’implanter la démocratie.
Les classes moyennes s’élargissent socialement grâce à l’instruction et la fonction publiques, mais la moitié de la population reste agricole. Une partie de la paysannerie et des petits propriétaires accèdent aux fonctions publiques, mais un tiers de la population hongroise reste pauvre, sans ressources.
Parallèlement, un prolétariat urbain se développe, aux conditions de vie misérables. Fortement syndicalisé, il est divisé entre la tendance fascisante ou socialiste.
Ainsi, le pays reste profondément marqué par l’archaïsme et le libéralisme.

Etat de la société civile sous l’ère nationaliste
Dans ce contexte, la société civile est selon l’expression de Gyula Szekfü « une société néo-baroque ». Comme les salons français du XVIIIe siècle, une bourgeoisie conservatrice et libérale veut accéder au mode de vie nobiliaire. Les classes dirigeantes sont marquées par le patriotisme et la moralité du XIXe siècle.
« (…) l’esprit étroit qui règne dans la société « néo-baroque » drapée dans un costume national-chrétien-seigneurial rend lente et difficile l’adoption des valeurs civiques et la formation d’une classe moyenne de toute confiance, industrieuse et sensible au bien public, d’une société bourgeoise au sens du XIXe siècle, mais, contrairement aux vœux des « réforme- conservateurs », adaptée à la modernité. (…) les causes profondes de la stagnation résident sans doute dans les structures et les mentalités dominantes. La carence démocratique est manifeste. (…) A pas comptés avance, malgré tout, une société civile au mode démocratique européen, froissant parfois les sensibilités conservatrices, nationalistes et antilibérales.»»[3]

Le milieu associatif est le reflet d’une société divisée entre le courant bourgeois de Budapest, fortement marqué par la communauté juive, et le nationalisme populiste et conservateur. C’est à la capitale que l’on trouve les associations culturelles et artistiques, les sociétés de sport mais aussi les syndicats et autres organisations ouvrières. C’est ce que Marx nomme la bürgerliche Gesellschaft, la société civile d’essence bourgeoise. Le tiers de la population hongroise n’ayant rien est plus attiré par le mode vie bourgeois que par le socialisme, mais aussi par les œuvres nationalistes.

Dans sa tendance fascisante, le nationalisme attire une partie de la classe ouvrière et des démunis, ceux qui sont exclus de la vie des élites. C’est dans ce courant que se situent également les écrivains et ethnologues populistes allés à la rencontre du monde paysan, dénonçant les inégalités.
« Le nationalisme est ainsi la première composante du fascisme, de sa psychologie, de son idéologie et de sa sociologie. (…) Tous les programmes fascistes affichent des velléités sociales, parlent le langage de l’égalité et de la justice sociale (…). »[4]

Glissement vers un nationalisme antisémite
Problème de la communauté juive venue principalement de Galicie, qui commence à s’établir en Hongrie durant la deuxième moitié du XVIIIe siècle.
1869 : 500 000
1910 : 940 000
1867 : reconnaissance de l’égalité civique (en France 27-28 septembre 1791 par Napoléon).
1883 : procès de Tiszaelszlàr accusant les Juifs de meurtre rituel. Acquittement.
Un parti antisémite ne parvient pas à s’implanter. Ce sont les milieux catholiques conservateurs qui véhiculent le thème de la « question juive ».
1892 : reconnaissance de la religion israélite.
Emancipation importante : magyarisation, participation active à la modernisation économique et culturelle.

Le glissement vers un nationalisme de droite antisémite se renforce dès le gouvernement Gömbös de 1932, qui tente de fédérer les populistes et le milieu ouvrier au sein du « parti de l’unité nationaliste », en pratiquant une politique progressiste socialement, conservatrice politiquement. Puis, sous le gouvernement Darànyi, l’antisémitisme d’Etat est adopté par la promulgation de la première loi antijuive en mai 1938. Deux autres lois seront votées en 1939 et 1941. Juifs et capitalistes sont les mêmes ennemis du nationalisme de droite, soucieux de rallier les masses à l’unité nationale en déclarant lutter contre les injustices et les inégalités.
C’est pourquoi le régime de Horthy continue à financer bon nombre d’organisations sociales de droite et d’associations religieuses. Les organisations patriotiques et paramilitaires sont également encouragées.

1938 : premier arbitrage de Vienne rendu par l’Allemagne et l’Italie. Le gouvernement réussit à récupérer une partie de la Slovaquie.
Mars 1939 : occupation de l’Ukraine subcarpatique dont la population est hétérogène, à majorité ruthénienne.

30 août 1940 : deuxième arbitrage de Vienne décidé par Hitler. La Hongrie obtient une partie de la Transylvanie, comprenant un million de Roumains.

Novembre 1940 : adhésion au pacte tripartite après avoir déjà adhéré au pacte Antikomintern.
Le régent Horthy permet le passage des troupes allemandes vers la Yougoslavie, malgré l’accord passé entre le chef du Conseil Pàl Teleki (1879- 1941) et la Yougoslavie. Ce dernier se suicide.
27 juin 1941 : la Hongrie déclare la guerre à l’Union soviétique et à ses alliés.
1943 : suite aux revers subis par les Allemands, les Hongrois tentent de prendre contact avec les alliés.
19 mars 1944 : les troupes allemandes occupent la Hongrie.
15 octobre 1944 : Horthy, resté régent, tente de sortir de la guerre. Il est arrêté. Les Croix Fléchées prennent le pouvoir. Persécution des éléments progressistes et déportation des Juifs.

Parallèlement à l’interdiction des syndicats et à la répression des courants sociaux-démocrates et communistes, les mouvements purement fascistes s’organisent en plusieurs partis, devenant une force politique particulièrement significative. Si le pluralisme politique et son relais médiatique ne sont pas supprimés, ils sont fortement entravés par la censure et les lois racistes.
Pourtant, le parti au pouvoir est distinct des forces fascistes radicales qui séviront en 1944 : le parti traditionnel radicalisé à droite utilise certes les fascistes pour maintenir son emprise, mais il fait un pas en arrière lorsque la menace est trop pressante et que toutes les libertés sont menacées.

L’extrême-droite
Le nationalisme hongrois et une certaine tentation de rallier un modèle libéral occidental poussent Horthy à s’opposer à Hitler, mais l’entrée des troupes allemandes à Budapest en 1944 engendre l’avènement de l’extrême- droite, que le parti traditionnel avait contribué à rapprocher du pouvoir. Après les spoliations, les épurations et les condamnations pour « souillure de la race », les gendarmes hongrois aident Eichmann à réunir les Juifs dans les ghettos avant de les envoyer à Auschwitz-Birkenau. Ils sont ensuite relayés par les Croix-Fléchées de Szàlasi, qui instaure la terreur : les patriotes, qu’ils soient de droite ou de gauche, sont exécutés ; les Juifs subissent la torture, la famine et les massacres, le Danube étant transformé en un fleuve de sang. D’après les chiffres de Miklos Molnàr, environ 80% de la population juive de Budapest aurait péri durant la guerre.

Après la défaite du courant nationaliste radicalisé en courant fasciste, la Hongrie bascule dans la sphère d’influence communiste.

[1] Miklos Molnar, op. cit. Page 218.
[2] Miklos Molnàr, Histoire de la Hongrie, op. cit Page 344.
[3] Miklos Molnàr, Histoire de la Hongrie, op. cit. Page 353.
[4] René Rémond, tome 3 « Le XXe siècle, de 1914 à nos jours » in Introduction à l’histoire de notre temps, op. cit. Page 113.

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