lundi 8 octobre 2007

Histoire de la Hongrie - les origines : la catastrophe de Mohàcs (1526)

L’invasion des Ottomans
La défaite des Hongrois contre les Ottomans à Mohàcs en 1526 est également due aux luttes intestines. D’ailleurs, les Nobles s’empressent de piller le trésor royal. [1]
Division du pays en 3 parties : turque, transylvanienne et habsbourgeoise : Jànos Ier Szapolyai est élu roi (1526 - 1540) à la Diète de Székesfehérvàr. Ferdinand Ier de Habsbourg, frère de Charles Quint, est élu roi de Bohême et de Hongrie (1526 - 1564) par la Diète de Pozsony. Les Ottomans se retirent et reviennent en 1541, sous prétexte de faire reconnaître la succession de Jànos Ier Szapolyai.

Le pays se fige dans un retard durable : les trois Europes
« Après 1500, une nouvelle ligne de partage coupa l’Europe en deux, du point de vue de la structure économique et sociale, désignant la partie orientale, bien plus vaste, comme le territoire du « second servage », et cette ligne reproduisait avec une fidélité étonnante la frontière formée par l’Elbe et la Leitha en 800. (…) Cinq cents ans plus tard l’Europe est divisée en deux « camps », le long d’une ligne de partage presque semblable, comme si Staline, Churchill et Roosevelt avaient soigneusement étudié le statu quo de l’époque de Charlemagne lors du 1130e anniversaire de la mort de l’Empereur. »[2]

Comme l’explique Fernand Braudel dans la préface de l’œuvre de Jenö Szücs « Les Trois Europes », l’Europe occidentale bénéficie d’un développement en direction de l’Amérique, alors que la Russie s’oriente vers l’Asie. Entre les deux, une Europe plus proche de l’Occident que de l’Orient se renferme sur elle-même, minée par l’hypertrophie de la noblesse et le maintien du système féodal. Cette période qu’Istvàn Bibò nomme le « cul de sac de l’Histoire hongroise » a figé durablement le développement social.

De même, René Rémond écrit :
« (…) il y a deux Europes profondément différentes : l’une a joué un rôle décisif, l’autre inexistant. Ces deux Europes correspondent à deux types de sociétés. Il y a des sociétés maritimes (…) qui se caractérisent par une organisation différenciée, avec notamment une bourgeoisie nombreuse et active, une économie où le commerce extérieur tient une place appréciable, et des sociétés continentales presque exclusivement terriennes, où l’économie est toute agraire. »[3]

Domination de la noblesse
Sur ces terres divisées, ce n’est ni le pouvoir royal affaibli ni l’Eglise catholique amoindrie par la propagation de la Réforme et la dilapidation de ses biens qui assurent le pouvoir mais la noblesse.

L’occupation ottomane : faire courber sans casser
Si le territoire hongrois sous occupation ottomane a subi de très nombreux pillages et rapts, faisant de la Grande Plaine (puszta) une terre brûlée, les Ottomans ont cependant veillé à instaurer un équilibre entre l’exploitation maximale des terres à leur profit et une souplesse relative. Comme le décrit Miklos Molnàr, les seigneurs hongrois gardent une main mise sur les paysans, soumis au « condominium », une double imposition turque et hongroise. L’Etat et l’Eglise prélèvent également leur part, faisant du paysan la misera plebs contribuens. Par ailleurs, l’extension des pâturages pour le développement de l’élevage au détriment de l’agriculture et l’abandon des villages a engendré la croissance de quelques bourgs et bourgades, mais sans permettre un développement des villes. « La frontière de la civilisation a reculé. »[4]
Concernant le territoire royal, la Hongrie reste en possession de la Sainte Couronne : l’administration viennoise n’y est pas imposée. La noblesse hongroise reste ainsi indépendante tout en se montrant loyale envers le monarque.

Accroissement des inégalités
Ainsi, ce sont des « états nobiliaires » qui assurent la suprématie sociale et politique en Hongrie. Auparavant dépendants du pouvoir économique de la grande seigneurie, les magnats, les nobles asservissent totalement la paysannerie, creusant le fossé entre serfs (jobbàgy) et « nation nobiliaire ».

« En l’absence d’argent et de possibilité pour les propriétaires de salarier une main-d’œuvre, ils sont obligés de l’asservir. (…) Le servage est une nécessité, tant qu’il n’y a pas encore une économie monétaire comportant circulation et échanges. »[5]

Expansion de la noblesse
Par ailleurs, à l’ancienne noblesse désargentée vient s’ajouter un nombre élevé de simples soldats ou paysans anoblis pour services rendus, poussant à l’hypertrophie de l’ordre : les nobles représentent en Pologne et en Hongrie 4 à 5 % de la population, jusqu’à 8 % en Transylvanie. Ils détiennent le pouvoir via les comitats, les entités territoriales traditionnelles. C’est ainsi un pouvoir politique indépendant et décentralisé qui s’affirme contre la royauté, aux mains étrangères, défendant une identité nationale durant plusieurs siècles.
« Il y a ainsi dans le rôle historique de la noblesse dominante une dualité irréductible : en défendant ses privilèges, cette noblesse porte en même temps sur ses épaules l’identité et le droit hongrois. (…) Les classes dominantes et leurs institutions particulières garderont toutefois jusqu’au XIXe siècle cette constante : elles préservent la nation et en même temps entravent le progrès. »[6]


Diversité des peuples et diversité des religions
Diversité des populations
La Transylvanie est le "pays des trois nations" (magyare, sicule et saxonne) mais compte six nationalités dot une majorité magyare, sicule, saxonne, puis les Roumains appelés Valaches, les Serbes nommés Ràcs, les Ukrainiens. On y parle cinq langues et on y pratique six religions sans compter les Juifs et les sectes telles que les sabbataires ou abrahamistes.
Sicules sont probablement d'origine hongroise ou turque venus en 895.
Saxons venus à partir de 1140 de Flandre, Rhénanie et Wallonie. Ils s’établissent dans la partie septentrionale (nord) et Transylvanie. Ils sont luthériens, techniques agricoles et artisanales très évoluées avec centres urbains florissants.
Les Roumains ne sont pas reconnus : religion orthodoxe n'est pas reconnue, souvent serfs et bergers sauf boyards. Conflit incessant entre historiens hongrois et roumains sur la première implantation sur le territoire.

Au début du XVIIIe siècle commence une colonisation nouvelle et systématique : Serbes au sud, colons allemands en Transdanubie[7], autour de Buda et dans le Banat[8], des Slovaques entre le Danube et la Tisza, des Roumains en Transylvanie. Accroissement de l’élément non hongrois.

La diversité religieuse
Propagation de la Réforme et de la Contre-Réforme en Hongrie. La Réforme apporte l'humanisme de la Renaissance et l'épanouissement de la littérature. Propagation du luthéranisme surtout dans la population germanophone urbaine, à la cour, auprès de certains magnats hongrois. Propagation du calvinisme auprès des Magyars de toutes conditions, adapté à la situation hongroise par les prédicateurs locaux. La Réforme a finalement gagné une large partie de la population. Trouve une résonnance dans la situation hongroise : épuration d'une Eglise corrompue au profit d'une plus grande simplicité, emploi de la langue maternelle, message social, revêtant un caractère national certain. Par ailleurs, l'Eglise catholique avait été depuis longtemps affaiblie par le pillage des magnats et l'expropriation par les seigneurs convertis au protestantisme. Ces derniers convertissaient toutes leurs dépendances (familles, citadins, paysans, voisins et régions entières) = "cujus regio, ejus religio" ("telle la religion du prince, telle celle du pays"). En Hongrie, l'Eglise n'aura jamais plus le pouvoir d'une Eglise d'Etat. En matière littéraire, la littérature laïque représente 40% de la production.

Le cardinal Péter Pàzmàny (1570-1637) persuade ses compatriotes que les Habsbourg et le catholicisme sauveront la Hongrie. Epanouissement de la littérature hongroise catholique. Répression contre les protestants, réfugiés en Transylvanie et dans une moindre mesure dans le nord de la Hongrie.


1604 – 1606 : insurrection d'Istvàn Bocskai contre les Habsbourg avec les hajdu (haïdouks), après la répression habsbourgeoise suivant la défaite contre les Turcs en 1596.
Consolidation du pouvoir sous Gàbor Bethlen (1613-1629), qui devient maître de la majeure partie de la Hongrie royale, reconnu par les Nobles contre les Habsbourg (Ferdinand II, 1618 – 1637). Après une autonomie croissante vis-à-vis de l’empire habsbourgeois et la reconnaissance de liberté religieuse des Nobles protestants, la Hongrie est finalement soumise à la couronne d’Autriche en 1699 (paix de Carlowitz) suite à la guerre contre les Ottomans.

La guerre de libération anti-habsbourgeoise de Ferenc (François) Ràkoczi II (1703-1711) se solde par un échec.

Les nobles reconnaissent l’autorité de Vienne en échange de la direction des comitats, l’organisation de l’administration, de la juridiction et de l’imposition.
A partir de 1741, sous Marie-Thérèse (1711- 1740), une réelle coopération s’établit entre les Nobles hongrois et le pouvoir habsbourgeois.

[1] La première attaque des Ottomans avait eu lieu en 1456 et avait été repoussée avec succès à Belgrade par Jànos Hunyadi.
[2] Jenö Szücs, Les Trois Europes, coll. « Domaines danubiens », L’Harmattan, Paris, 1992.
[3] René Rémond, Introduction à l’histoire de notre temps, vol. I l’Ancien Régime et la Révolution, coll. « Points », série « Histoire », Seuil, Paris, 1974. Page 27.
[4] Miklos Molnàr, op.cit. Page 146.
[5] René Rémond, op.cit. Page 53.
[6] Miklos Molnàr, op.cit. Page 142.
[7] La Transdanubie est le nom de la région hongroise située dans le bassin des Carpates à l'ouest du Danube.
[8] Le Banat est une partie de la plaine de Pannonie limitée par le Danube au sud, la Tisza (Theiss, Tissa, Tisza) à l'ouest, le Mureş au nord, et les Carpates méridionales à l'est. Sa capitale historique est Timişoara (hongrois : Temesvár, serbe : Temišvar), située dans le judeţ de Timiş de Roumanie. Le terme Banat designait la province frontière gouvernée par un ban.

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