jeudi 4 octobre 2007

Introduction

« « Fondations, clubs, mouvements de toutes sortes dont la création est favorisée par une large liberté d'association se jettent, en cette période fiévreuse, à l'assaut des partis politiques et vont au-delà de leur vocation première », observe le politologue tchèque Frantisek Samalik. »
Frédéric Gaussen, Le Monde, 20.11.1992

« La " société civile ", que l'on croyait anéantie par plus d'un demi-siècle de domination étatique, semble enfin se réveiller, non seulement en Pologne ou en Hongrie, mais en URSS même où elle s'affirme face à un système politique en crise. » Thomas Ferenczi nomme ce mouvement « la spontanéité imprévisible ». Thomas Ferenczi, Le Monde, 27.10.1989

« Without wishing to deny the importance of facilitation and encouragement on the part of government and from some Western foundations and official aid agencies, we can state that the renaissance of the Hungarian voluntary sector started in 1990 mostly as a result of private initiatives. People, who wanted to act at last as citizens instead of being subordinates, established non-profit organizations in order to exercice some control over social processes, decision making and the provision of welfare services. Solemnly speaking, many of these voluntary organizations were born as the institutions of civil society. In a more pragmatic interpretation, they appeared as alternative policy makers directly expressing the interests and aims of social actors. Anyway, their extremely impressive development would have hardly been possible without a very old, rich and strong tradition of the voluntary sector in Hungary.»
Eva Kuti, The nonprofit sector in Hungary, coll. “John Hopkins Nonprofit Sector Series”, Manchester University Press, 1996, Manchester. [1]


Après la chute du régime soviétique, il a été beaucoup question de renaissance de la « société civile » dans les pays d’Europe centrale et orientale. Une renaissance faisant suite à des années d’oppression par un régime totalitaire, assoupli les dernières années précédant sa chute. L’idée que la société civile s’oppose à un Etat oppresseur a fait son chemin : les regroupements privés, la création de groupes, d’« associations », sont devenus les fers de lance de la liberté et de la démocratie, dans la droite lignée des temps romains. Comme le mentionne Jean Desfrasne, « en face d’un Etat autoritaire l’association consacre l’exercice de la liberté. (…) L’association est ainsi dans le monde romain, très peu porté à la démocratie, un des rares domaines où celle-ci peut s’exercer. » [2] Entre Rome et la chute du pouvoir soviétique, la boucle est bouclée.

Cependant, qu’est-ce qu’une association si ce n’est le fait de s’associer ? S’associer comment ? Dans quel but ? Pour défendre ses intérêts ? Pour s’opposer au pouvoir en place ? Pour partager tout simplement des loisirs ? Si ces regroupements sont observables dans tout pays, n’est-il pas cependant lié à un contexte, à des faits historiques qui ont conduit à une évolution spécifique dans chacun des pays observés ? L’association n’est-elle pas au cœur des évolutions sociétales ?

Il nous semble, en effet, pertinent d’analyser l’évolution des sociétés dans les deux pays choisis : s’appuyer sur le factuel nous permettra, à notre sens, de donner une définition dynamique et non figée de notre objet, « l’association », aux contours finalement vagues.
Ainsi, nous privilégions une démarche non fonctionnaliste, à savoir qui ne soit pas fondée sur une « hypothèse méthodologique ou conception visant à considérer tout fait social ou trait culturel dans ses relations avec la totalité du corps social auquel il appartient, ce qui, en déterminant ses rapports fonctionnels avec les autres faits sociaux, en manifeste le sens »[3]. Plus précisément, il nous semble plus pertinent d’opérer des distinctions sur la base d’une évolution historique, plutôt que de prendre une photographie de la situation actuelle et d’asséner à cette nébuleuse que serait « le milieu associatif » une fonction clairement définie par rapport à l’Etat d’une part, le marché d’autre part.
« (…) à l’intérieur des limites de la pensée utilitaire il n’y a que les modèles qui peuvent avoir du sens, parce que seuls les modèles peuvent être « faits », tandis que les significations ne peuvent l’être, mais, comme la vérité, se dévoileront ou révéleront seulement eux-mêmes. »[4]

C’est donc une esquisse d’histoire comparée que nous nous proposons de brosser , sachant que les limites de cette démarche se situent dans l’emploi d’un outil fondé initialement sur l’étude documentaire « tangible » et non sur le simple fait de relater les événements. Ainsi, s’il manque à cette histoire comparée la méthode historique, justement, du fait de vouloir détourner celle-ci à des fins sociologiques, il nous semble cependant intéressant d’entreprendre cette démarche, pour les raisons exposées par l’historien Marc Bloch, qui définit la méthode comparative de la manière suivante :
[La pratiquer], c'est « rechercher, afin de les expliquer, les ressemblances et les dissemblances qu'offrent des séries de nature analogue, empruntées à des milieux sociaux différents (…). [Pour parler d’histoire comparée, il faut que deux conditions soient remplies] : « une certaine similitude entre les faits observés - cela va de soi - et une certaine dissemblance entre les milieux où ils se sont produits ».

L’objet de cette étude est donc d’étudier les points communs et les différences dans l’évolution des sociétés en France et en Hongrie. Cette comparaison permettra, nous l’espérons, de porter un éclairage particulier sur le milieu associatif qu’elles ont engendré.
[1] Traduction française : « Sans vouloir ignorer le rôle important du gouvernement et de plusieurs fondations occidentales et d’agences officielles pour le faciliter et l’encourager, on peut affirmer que la renaissance du tiers secteur hongrois a débuté dans les années 1990, résultant principalement d’initiatives privées. Les personnes qui voulaient enfin agir en tant que citoyens au lieu d’être subordonnées ont fondé des organisations non gouvernementales, afin d’exercer un certain contrôle sur l’évolution sociale, la prise de décision et l’offre de services sociaux. Plus précisément, bon nombre de ces organisations volontaires sont nées en tant qu’institutions de la société civile. En suivant une interprétation plus pragmatique, elles apparaissent comme des instances génératrices de politiques alternatives, exprimant directement les intérêts et les buts des acteurs sociaux. En tous cas, leur développement extrêmement impressionnant aurait été difficilement envisageable sans une très ancienne tradition, riche et forte, de secteur volontaire en Hongrie. »

[2] Jean Defrasne, La vie associative en France, PUF, « Que sais-je », 1995.
[3] L.-M. Morfaux, Vocabulaire de la philosophie et des sciences humaines, Armand Colin, Paris, 1980.
[4] Hannah Arendt, La crise de la culture, « Le concept d’histoire », coll. « Folio / Essais », Gallimard, Paris, 1972. Page 108.

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