jeudi 4 octobre 2007

Le temps des révolutions et des convulsions : la Révolution française

La Révolution française marque un tournant et se propage en tant que référence, positive ou négative, dans l’Europe entière.
« La révolution est le recours qui s’impose pour renverser un régime dont on conteste la légitimité, et devient ainsi, après 1830, 1848, 1870, la formule banale du réajustement, d’où la fréquence des bouleversements et la succession d’expériences constitutionnelles. L’exemple français faisant école, l’Europe s’engage dans la même voie et la révolution soviétique de 1917 prend le relais avant de devenir à son tour le modèle d’une autre lignée de révolutions. »[1]

Comme nous l’avons analysé ci-avant, c’est l’absolutisme en France et le despotisme éclairé en Hongrie qui ont paradoxalement crée les conditions de leur propre contestation. L’autorité royale n’est initialement pas contestée : c’est le roi qui convoque les Etats généraux, apparaissant comme celui qui est le plus à même de mettre un terme aux tensions sociales en opérant les réformes nécessaires. De même, le roi sera remis au pouvoir en 1791 et prêtera serment de fidélité à la constitution.
Jusqu’à la chute du roi, l’Assemblée se déchire entre les aristocrates, contre-révolutionnaires refusant toute réforme, les monarchiens, au départ partisans de la révolution mais qui s’effraient des émeutes de 1789 et qui souhaitent un pouvoir fort, et les patriotes, qui veulent limiter le pouvoir du roi. En effet, l’Assemblée a besoin du roi pour limiter le pouvoir du peuple.

a) Libéralisme et démocratie : révolution et insurrection
Les Etats généraux sont encore le reflet d’une société d’ordres figée, le tiers état étant humilié par un cérémonial désuet. En se déclarant Assemblée nationale, ce dernier affirme le principe de la souveraineté nationale aux dépens de la souveraineté monarchique. Le roi finit par céder et l’Assemblée constituante est proclamée. Celle-ci abolit définitivement l’ordre féodal le 4 août 1789.
Parallèlement, la prise de la Bastille, le 14 juillet, est le symbole d’une révolution différente : celle du peuple qui a faim et qui a peur. Mais la révolution de l’Assemblée n’est pas celle de la Bastille : le tiers état est mené par une bourgeoisie soucieuse de défendre ses intérêts et notamment le droit de propriété. Afin de rétablir l’ordre, elle n’hésite pas à voter la loi martiale le 21 octobre 1789, permettant de disperser les attroupements par la force.
Dès lors se fait jour un clivage fondamental, décrit notamment par René Rémond et que nous avons déjà abordé ci-avant : la distinction entre le libéralisme et la démocratie. Si la première phase révolutionnaire menée par le tiers état visait à supprimer les privilèges pour prôner la liberté individuelle et la suppression d’un Etat fort, la phase démocratique insurrectionnelle remettra en place, au contraire, le pouvoir autoritaire et centralisateur pour défendre plus que la liberté, l’égalité entre les citoyens. L’oscillation constante entre libéralisme et démocratie est à la base de nos sociétés actuelles.
Ainsi, entre 1789 et 1848 c’est le mot « liberté » qui est au centre des débats : l’association est une entrave à cette liberté, elle est une entrave à l’individu. « Car l’unité de base, la seule à laquelle on reconnût une existence réelle, c’était l’homme, mais l’homme entité juridique et non être concret. »[2]

La Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen du 26 août 1789 est avant tout le fruit du libéralisme. Premièrement, le droit de propriété fait partie des droits de l’homme :
Article 2 - Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l'homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté et la résistance à l'oppression.

Deuxièmement, la Révolution déclare l’individu avant tout libre : le servage est définitivement aboli, les privilèges sont supprimés, y compris ceux des corporations et des jurandes. Ainsi, la liberté précède l’égalité : dans la lignée de l’utilitarisme, il peut y avoir un intérêt commun à maintenir les inégalités ; plus précisément, il est de l’intérêt de la bourgeoisie de maintenir les inégalités pour faire jouer la libre concurrence et accroître ses revenus.
Article premier – Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits ; les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l’utilité commune.

Troisièmement, c’est en prônant la liberté individuelle que le groupe est condamné ; c’est parce que les corporations concouraient au maintien d’une société figée entravant la libre concurrence qu’elles furent supprimées. C’est dans cette perspective qu’il faut comprendre leur interdiction. Ainsi, c’est l’existence de corps intermédiaires en tant qu’entraves à la liberté individuelle qui est remise en cause. Il faudra attendre ensuite la loi de 1901 pour qu’elle soit à nouveau promulguée.
Article 3 – Le principe de toute souveraineté réside essentiellement dans la nation ; nul corps, nul individu ne peut exercer d’autorité qui n’en émane expressément.

Le pouvoir établit la nation comme souveraine et ne tolère aucun intermédiaire entre celle-ci et les citoyens. Il s’en prend d’abord aux groupements professionnels : le 2 mars 1791, le décret d’Allarde supprime les corporations ; puis, le 14 juin 1791, la loi le Chapelier interdit toute association de métier, pétition professionnelle, délibération professionnelle sur les salaires et la grève. Enfin, le 25 juillet 1797, ce sont les assemblées populaires et clubs qui sont dissous.
L’empire napoléonien ira encore plus loin en pénalisant l’association, via l’article 291 du code Pénal (établi en 1810), stipulant que « nulle association de plus de vingt personnes, dont le but sera de se réunir tous les jours, ou à certains jours marqués, pour s’occuper d’objets religieux, littéraires, politiques ou autres, ne pourra se former qu’avec l’agrément du gouvernement, et sous les conditions qu’il plaira à l’autorité politique d’imposer. »

L’individu est entièrement soumis à l’autorité publique. Cette autorité est ensuite confirmée par le Code Civil de Napoléon : autorité du patron sur l’ouvrier, autorité de l’administration. Ainsi, l’arrivée au pouvoir de Napoléon et l’entrée en guerre de la France fige la prééminence d’un Etat fort, seul protecteur des citoyens. L’Etat devient encore plus que durant l’Ancien Régime, en l’absence de l’Eglise, le protecteur des laissés-pour-compte, le responsable de l’éducation, d’autant plus que l’instruction est le seul outil prôné pour contrebalancer démocratiquement le libéralisme. Cependant, un changement fondamental réside dans la passation de souveraineté de la royauté à la nation : Napoléon n’est plus le représentant d’un pouvoir personnel mais d’un peuple concerné par la vie politique.
Ainsi, la Révolution, tout en jetant les fondations de l’Etat français moderne centralisé, a fait souffler un vent de liberté sur l’Europe sans précédent, relayé par les armées napoléoniennes.

b) La révolution des clubs : l’apprentissage de la cité
La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen porte en elle l’interdiction des clubs qui ont fait naître les conditions de sa propre promulgation. En effet, ce sont dans les clubs prérévolutionnaires qu’ont été mis en place les fondements d’un nouveau régime. Ainsi, le libéralisme a engendré dans un premier temps de nouvelles formes de participation citoyenne fondée sur la liberté d’opinion et d’expression.
Cependant, lorsque ces clubs seront repris par les « sans-culottes », lorsqu’ils auront la possibilité de devenir véritablement des lieux d’expression et de débat populaire, des lieux de citoyenneté où se fait l’apprentissage de la démocratie, le pouvoir libéral n’hésitera pas à les interdire.
En effet, les couches populaires restent exclues des élections. Réclamant le droit de vote et surtout des mesures pour mettre fin à la misère, elles s’ancrent fermement dans le radicalisme. De plus en plus présent lors des débats de l’Assemblée, le peuple parisien exerce une pression sur les délibérations. Ce processus est accéléré par la création de clubs qui, de Paris, font circuler les mots d’ordre révolutionnaires grâce à leurs ramifications dans tout le pays. Le vote de la loi Le Chapelier le 14 juin 1791 vise directement ces associations, affirmant le caractère bourgeois de la Révolution. La fracture sera décisive lorsque les Cordeliers soutenant une pétition réclamant la déposition du roi se feront tirer dessus par la Garde nationale sous les ordres du marquis de La Fayette le 17 juillet 1791. Après ce bain de sang, c’est au sein des clubs que se cristallise l’évolution politique de la Révolution française.

En effet, les clubs révolutionnaires sont initialement l’expression la plus concrète de l’association au sens communautaire du terme : les couches populaires ne peuvent pas défendre véritablement leurs intérêts puisque elles sont totalement démunies. Les clubs, s’ils ne représentent initialement que l’élite de la population, se diversifient, repris dans leur forme par les « sans-culottes », soucieux de participer aux débats politiques dont l’Assemblée les exclut. Cependant, conscient du pouvoir des clubs, les libéraux investissent ces lieux démocratiques en fomentant des scissions. Dès lors, clubs et Assemblée sont les mêmes représentants d’une société divisée, où le club devient aussi l’enjeu de la défense d’intérêts de classes.

Le Club des Jacobins représenté par Robespierre élargit son recrutement social d’une part en n’acceptant plus uniquement les gens aisés, géographique d’autre part en correspondant avec des sociétés en province.
Le Club des Cordeliers, animé par Marat, Desmoulins et Danton est crée, lui, sur des bases plus démocratiques et plus égalitaires. Après l’événement du Champ de Mars, il est dissous.
Les modérés, qui souhaitent une monarchie constitutionnelle, quittent le club des Jacobins après la fuite du roi et son arrestation à Varennes et fondent le club des Feuillants avec Bailly, Barnave, ou encore La Fayette. L’accès au club des Feuillants est réservé aux « citoyens actifs » c'est-à-dire à toute personne qui paie l'impôt direct.
Une scission des Jacobins est également à l’origine du Club des Girondins ou Brissotins, composé d’avocats et de journalistes liés aux milieux d’affaires des grands ports qui joueront un rôle décisif au moment de l’Assemblée législative.

Par ailleurs, les premières fédérations voient le jour en novembre 1789 en Dauphiné puis dans l’ensemble de la province. La fête de la Fédération qui a lieu à Paris le 14 juillet 1790 est l’aboutissement de ce mouvement.

Devant les problèmes de subsistance entraînant des révoltes paysannes, les uns se méfient du peuple, les autres y voient le seul salut possible pour la Révolution. Dans ce contexte, la marche à la Guerre est considérée comme porteuse de solutions, notamment pour les Girondins et certains Feuillants : elle permet non seulement d’étendre la Révolution en Europe mais aussi de mater par des moyens militaires les révoltes populaires. Voulue par le roi également, la guerre signe pourtant son arrêt de mort : sous la menace prussienne, la pression de l’émeute populaire parisienne, rejointe par les fédérations, ne peut pas être écrasée. C’est la guerre qui fait de la Révolution un mouvement populaire radical fondé sur le patriotisme : l’ancien monde monarchique se bat contre le nouvel ordre révolutionnaire.

Ainsi, les clubs offrent une intéressante représentation des liens entre l’association et le contexte social : historiquement aristocratiques, leur forme a été récupérée par les élites progressistes puis par le peuple. Devenus démocratiques, ils sont ensuite déchirés par des luttes intestines reflétant les divisions politiques entre libéraux et démocrates. Enfin, ils conduiront à l’instauration d’une dictature populaire par les Montagnards, représentants des sans-culottes pourtant menés par la bourgeoisie.
L’association politique au temps de la Révolution française peut donc être tout autant une force d’opposition au régime en place qu’une structure relayant les opinions d’une élite auprès de la population. Elle peut tout aussi bien être populiste. Ni conservatrice ni contestatrice, ou bien les deux à la fois, elle cristallise le débat politique et social, suivant l’objet qu’elle se fixe.

Ainsi, le XIXe siècle restera celui des révolutions contre l’ordre établi : autorité politique, sociale ou encore étrangère. René Rémond identifie quatre vagues : les mouvements libéraux, les révolutions démocratiques, les mouvements sociaux et enfin, le mouvement des nationalités. Ces mouvements sont clairement identifiables en France et en Hongrie, mais à des périodes décalées : la Hongrie n’aura pas de révolution libérale en 1820 et 1830, mais elle profite cependant d’une ouverture importante suite aux mesures prises par le despotisme éclairé de Joseph II. Les révolutions de 1848 sont en France et en Hongrie démocratiques, mais elle est portée dans l’empire habsbourgeois par le courant nationaliste. Si la France se démocratise, la Hongrie reste durablement ancrée dans un système libéral.
[1] René Rémond, op.cit. Page 147.
[2] Marc Régaldo, chapitre 1.3.1. « La révolution « modérée » » in Nouvelle histoire des idées politiques. Op.cit. Page 13.

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