jeudi 4 octobre 2007

Etat versus société civile ?

« (…) l’une des voies d’interprétation de la spécificité du communisme et de l’hostilité qu’il provoquait a été, spécialement à partir des années 1970, de souligner que le système communiste avait tendu à réaliser une fusion de l’Etat-Parti et de la société civile : fusion qui écrasait l’autonomie des individus et des groupes et annihilait, quasiment, leur capacité à s’organiser. Comme, dans le même temps, le thème d’une organisation de la société (civile) contre l’Etat, ou en dehors de l’Etat, se développait en Occident, notamment en raison d’un retrait partiel de l’Etat-providence et de l’essor de luttes comme celle du mouvement des femmes, cette thématique a reçu un grand écho. Cependant, la problématique de l’opposition société civile / Etat a été critiquée en raison de la simplification qu’elle commanderait dans l’analyse, voire en raison de l’oubli qu’elle induirait du rôle de l’Etat dans la constitution d’une société où l’organisation, l’association, la compétition régulées sont possibles. Cette dernière raison permet aussi de s’interroger sur la pertinence d’une analyse des sociétés post-communistes comme lieu d’une renaissance de la « société civile. »»[1]

Comme nous l’avons analysé dans notre seconde partie, le milieu associatif est guidé par des buts multiples, la défense d’intérêts de groupes ou de classes en premier lieu - il en est ainsi des salons bourgeois, mais aussi des groupements clientélistes et corporatistes hongrois des années 1970 –. Si la défense de la liberté a été proclamée comme moteur des mouvements révolutionnaires, l’analyse historique semble démontrer que de multiples autres motivations sous-tendent ces mouvements : lutte de la bourgeoisie pour accéder à une position élitiste, lutte de la noblesse hongroise pour maintenir son pouvoir sur une base nationaliste, etc.
Le milieu associatif est le fruit de clivages sociaux et, en cela, il est un outil de revendications politiques et sociales moins altruiste qu’il n’y paraît.
En mentionnant l’essor du milieu associatif durant les années 1980, Eva Kuti écrit :
« The actual activities of these groups did not challenge the state socialist system, but their mood was clearly opppositional, their existence expressed the society’s antagonism towards the totalitarian regime. This more or less hidden oppositional character of the voluntary sector is probably explained by the oppositional attitude of the Hungarian society itself. (...) This general distrust of public institutions (including not only state, but church organizations, as well) is an important explanatory factor of the impressive strength of voluntary movements and their potential for expansion in Hungary. Voluntary organizations learnt to survive prohibition and to wriggle out of government control, sometimes they could shelter social and political movements which were not tolerated by the authorities. The freeedom of association was always endangered, the voluntary organizations often existed on the edge of illegality. Governments did not trust them at all, the most dictatorial ones even tried to completely eradicate them, but they were held in high esteem by citizens. They were considered to be a means of having a “voice” in “no-exit” situations.»[2]

Nous retrouvons chez Eva Kuti la ligne de pensée suivante : le milieu associatif est une force d’opposition au régime soviétique totalitaire, dans le prolongement de la lutte silencieuse de la société toute entière. Au besoin relais des mouvements sociaux et politiques, les associations ont de tout temps été durement pourchassées par les pouvoirs publics. C’est parce que depuis 1989 le peuple ne fait plus confiance ni à l’Etat ni à l’Eglise que le réseau associatif est une force de renouveau primordiale pour la nouvelle Hongrie en gestation. L’association serait donc une force d’opposition à un pouvoir étatique dictatorial, qui reflète les aspirations du peuple.
Et que sont devenus ces cercles de défense nobiliaires et bourgeois visant à défendre les intérêts des élites ? Et que sont devenus les associations fondées et soutenues par l’Etat pour développer la société ? De même, le fondement de l’œuvre de Miklos Molnàr, que nous avons abondamment citée, repose sur l’opposition entre société civile et Etat. Par ailleurs, lorsque Edith Archambault cite Michel Foucault pour décrire le pouvoir oppresseur de l’Etat, Dominique Colas cite le même auteur pour noter son aversion à l’égard de la simplification de la théorie de l’enfermement.

Tout comme le mouvement associatif est multiple, l’Etat l’est à son tour : l’Etat de l’Ancien Régime est différent de celui du XIXe siècle, les formes de pouvoir français et hongrois étant à leur tour différentes les unes des autres. Enfin, le pouvoir totalitaire stalinien est également différent du pouvoir de Kàdàr instauré en Hongrie dans les années 1970.
De même, les formes de résistance à travers l’empire soviétique sont tout aussi diverses : marins, paysans, intellectuels et étudiants, ouvriers, Juifs, prêtres catholiques, artistes …Tous ces groupes se battent contre l’oppression, mais aussi pour obtenir des droits qui leur sont propres. En cela, ils se positionnent comme acteurs spécifiques au sein de la population.

Contre ces simplifications, notre analyse historique a eu pour objet de décrire la place de l’association dans l’histoire des sociétés française et hongroise.
L’objet de notre thèse consistera à examiner les résurgences du passé et les évolutions nouvelles au sein des milieux associatifs français et hongrois, en analysant les constitutions sociales, les rapports de pouvoir et le rôle de l’Etat, notamment en tant que législateur et premier financeur du milieu associatif aujourd’hui, que ce soit en France ou en Hongrie.
[1] Dominique Colas, Première partie « Société civile, Etat, nation » in l’Europe post-communiste, dir. Dominique Colas, coll. « Premier cycle », Presses universitaires de France, 2002, Paris. Page 29.
[2] Eva Kuti, op. cit. Page 40 et 45.
Traduction française : « Les activités concrètes de ces groupes n’équivalaient pas le système soviétique, mais leur but était clairement de s’opposer, leur existence exprimant l’antagonisme de la société envers le régime totalitaire. Ce rôle d’opposition du secteur volontaire, plus ou moins caché, est probablement explicable par l’attitude antagoniste de la société hongroise dans son ensemble. (…) Le désaveu général des institutions publiques (incluant non seulement les institutions étatiques mais aussi ecclésiastiques) apporte une explication primordiale à la force impressionnante avec laquelle les mouvements volontaires ont agi et se sont développés en Hongrie. Les organisations volontaires ont appris à survivre malgré la censure et à déjouer le contrôle gouvernemental, abritant parfois des mouvements politiques et sociaux interdits par les autorités. La liberté d’association a toujours été menacée, les organisations volontaires perdurant à la marge de l’illégalité. Les gouvernements ne leurs ont aucunement fait confiance, les plus dictatoriaux tentant même de les éradiquer complètement, mais elles furent tenues en grande estime par les citoyens. Elles étaient considérées comme un moyen d’avoir une « voix » dans des situations de « non-existence ». »

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