jeudi 4 octobre 2007

Le temps des révolutions et des convulsions : la révolution socialiste

Les premiers contours de l’idée socialiste se retrouvent également au temps de la Révolution, notamment au travers des théories de Babeuf et du club du Panthéon, qui préconise la suppression de la propriété privée, la défense d’une stricte égalité, l’instruction publique encadrée par l’Etat et l’utilisation de la propagande.
Le succès du mouvement socialiste en France est le fait d’une rencontre réussie entre un mouvement politique initialement centré sur les problèmes agraires et la classe ouvrière. Suite à la révolution industrielle, les ouvriers subissent une déstructuration du lien social et une accentuation des écarts ente eux et leurs patrons. Les crises économiques et la poussée démographique provoquent par ailleurs la paupérisation.
Avant 1848, le socialisme propose des solutions « sociales » et non politiques, suivant une volonté de souder la société contre l’individualisme : la société dépasse l’individu.

« (…) toute l’histoire de l’évolution du socialisme, qui deviendra progressivement une force politique, pourrait presque se réduire à l’itinéraire d’une école d’organisation sociale qui se mue en parti politique pour la conquête – ou l’exercice – du pouvoir. »[1]

C’est l’école marxiste qui sort victorieuse des débats annuels des congrès de l’Internationale et c’est en partie pour cela que le mouvement social va se muer en mouvement politique. La vision de la « lutte des classes » est renforcée par la guerre civile de 1848 et la défaite des ouvriers contre les privilégiés et les détenteurs du pouvoir sous la Commune. Malgré les nombreuses interdictions, notamment en Allemagne, le parti socialiste se renforce et devient souvent le premier parti en termes de nombre d’adhérents, d’élus, de tirage de journaux. En 1914, le socialisme est déjà un parti organisé.

Le socialisme est par ailleurs une philosophie : il s’affirme contre le fait religieux, contre le nationalisme et l’Etat-nation. Sur une base internationaliste très marquée, il sera un fervent opposant de l’entrée en guerre.
Si en France, la lutte poursuivie par Jean Jaurès lui permet d’arriver au pouvoir légalement par les élections au suffrage universel, il se propage clandestinement à l’est.
« Le socialisme paraît incarner pour des masses considérables autant une espérance de solidarité, une aspiration à la paix, que le rêve d’une société plus juste et plus fraternelle. »[2]

Dans une société qui compte encore en 1846 75 % de population rurale et 53,6% en 1921, les socialistes s’intéressent d’abord aux réformes agraires. En effet, la terre n’appartient toujours pas à ceux qui la cultivent :
« Là où la féodalité a disparu, la propriété bourgeoise lui a succédé, entre autres dans les pays touchés par la Révolution française. Les principaux bénéficiaires, sinon les bénéficiaires exclusifs, du transfert de propriété lié à la vente des biens nationaux ont été des bourgeois qui ne cultivent pas eux-mêmes. »

De même, la grande majorité de la population hongroise est rurale, le servage n’étant aboli qu’en 1848. Que ce soit en France ou en Hongrie, cette population est d’abord une force conservatrice, comme l’attestent les premières élections françaises au suffrage universel. Si la ville attire, c’est parce qu’elle offre du travail, mais aussi parce qu’elle est une promesse de vie différente, allégée du poids culturel du village. Ainsi, la ville libère autant qu’elle isole.
La campagne apprend cependant à s’organiser sur le modèle ouvrier, notamment par le syndicalisme et la constitution de partis agraires. En Hongrie, l’essor du socialisme agraire se traduit par la création du parti des agriculteurs moyens, futur parti des petits propriétaires, qui milite en faveur de la redistribution des terres. En France, le monde rural passe à gauche après 1877, après que la République ait réussi à rassurer.
Les ouvriers français n’entrent quant à eux dans le syndicalisme que vers 1880-1890.

Dans un contexte d’interdiction des associations et du droit de grève, c’est la lutte qui s’impose, mais une lutte par le verbe et non par les armes. Premièrement, les socialistes luttent pour la légalité juridique par l’intermédiaire des journaux et des tribunes, dans un contexte qui leur est favorable sous la Monarchie de Juillet. C’est par l’intermédiaire du courant socialiste que l’association va pouvoir récupérer ses droits.
En 1864, la loi autorise les grèves et les coalitions. En 1867, un statut légal est accordé aux coopératives. En 1868, l’article répressif du Code civil est aboli.
Enfin, en 1884, la loi Waldeck-Rousseau autorise la liberté syndicale : les associations professionnelles, rurales et ouvrières sont reconnues. C’est ainsi qu’est fondée en 1895 la Confédération générale du travail, qui fédère les syndicats.
Comme nous l’avons vu précédemment, c’est la volonté d’exclure la liberté des congrégations religieuses qui retardera la promulgation de la loi de 1901 relative à la liberté d’association.

Si le socialisme en France a su s’imposer par la lutte juridique, il comprend en son sein une deuxième forme de lutte, plus universaliste. Le socialisme français s’est certes unifié en 1905, mais il reste partagé entre la lutte politique, relayée par la création du ministère du Travail en 1906 et la lutte syndicale, qui milite pour une transformation radicale de la société pour un ordre social plus juste. Sous sa forme la plus extrême, elle s’allie avec le courant anarchiste particulièrement puissant entre 1870 et 1900 pour former l’anarcho-syndicalisme. Selon ce dernier courant, le syndicat doit remplacer l’Etat. On retrouve ici, paradoxalement, une forme extrême du libéralisme prôné par Tocqueville, à savoir celui d’une société qui s’appuierait entièrement sur l’association, et plus particulièrement sur l’association ouvrière.
Qui plus est, le syndicat suit une démarche utilitariste fondée sur la défense des intérêts d’une catégorie socio- professionnelle, sans perspective communautaire.
D’ailleurs, dans un premier temps, le mouvement ouvrier ne veut pas intégrer le parlementarisme bourgeois, lui préférant l’action syndicale.
Ainsi, Saint-Simon affirme dans la Parabole des abeilles et des frelons, que la révolution industrielle marque l’avènement du temps de l’association. Si le système féodal est caractérisé par la hiérarchie, la société industrielle est celle de la production et des relations d’association. Ensuite, Proudhon fonde véritablement le syndicalisme en défendant l’association et le pouvoir professionnels, l’autogestion et la fédération contre l’Etat. Si Marx dénonce l’ensemble de la société civile comme étant minée par la bourgeoisie, l’argent, la propriété privée, les anarcho-syndicalistes fondent l’organisation sociale sur l’association volontaire entre êtres libres.
Issus des rangs de l’anarchisme, des politiciens comme Léon Blum intègrent ensuite la lutte politique et le socialisme.[3]

Si le socialisme passe en France par la lutte de la reconnaissance juridique, le régime libéral hongrois du tournant du XXe siècle était plus tolérant en matière associative. Ainsi, en 1904, la Hongrie compte déjà 14 organisations nationales avec 408 groupes et 17 syndicats locaux. Comme le remarque Miklos Molnàr, cette tolérance « montre qu’une société politique plus démocratique que la hongroise, celle de la France, n’est pas nécessairement plus permissive dans le domaine de la socialisation qu’une société qualifiée de semi- féodale. La France, société bourgeoise avancée, est à cette époque aussi restrictive, sinon plus que la Hongrie dominée par la noblesse. » [4]
Ainsi, le parti social-démocrate crée en 1878, s’appuie sur les syndicats. Il compte déjà 721 000 adhérents en décembre 1918. A cette époque, plusieurs de ses représentants siègent au gouvernement alors que d’autres passent au parti communiste fraîchement constitué. Ce dernier s’appuie également sur l’anarcho-syndicalisme, sur les prisonniers de guerre de l’Armée rouge de Trotski et sur des dirigeants formés à Moscou. C’est grâce à la fusion des sociaux-démocrates et des communistes, ralliés par le cercle de Galilée des sociologues petits bourgeois, que Béla Kun va diriger pendant 133 jours la République des Conseils.
Dans un contexte de désarroi total, jetant dans la rue des millions de pauvres, de soldats démobilisés et de chômeurs, la prise du pouvoir par les communistes ne s’oppose à aucune opposition. La République des Soviets et la dictature du prolétariat sont proclamées le 16 novembre 1918. Cependant, cette prise de pouvoir aussi soudaine qu’éphémère ne s’appuie pas sur des bases sociales solides. « Tout s’y opposait, les traditions, les structures sociales, les mentalités collectives. »[5]
De fait, comme le dira plus tard Staline au sujet de la Pologne, « introduire le communisme en Pologne serait comme seller une vache ».
C’est pourquoi le pouvoir sera rapidement repris en main, le parti communiste interdit pendant 25 ans et les sociaux-démocrates persécutés.
Certes, la Hongrie compte en 1937 pas moins de 2 765 syndicats et associations professionnelles, mais elles seront bientôt interdites.
Comme le mentionne Miklos Molnàr, c’est une « certaine immaturité de l’esprit démocratique » qui a permis au pouvoir soviétique de s’implanter durablement en Hongrie.
« L’apprentissage, long et difficile de la démocratie, cette école de civilité qui conduit les peuples plus heureux à leur affranchissement de la tutelle des corps sociaux dominants, ne s’est accomplie que tardivement et imparfaitement. Les séquelles de cette arriération à caractère, en un mot, culturel se faisaient sentir jusqu’à nos jours, tout comme elles étaient présentes lorsque l’invasion soviétique a brutalement rompu l’évolution de ces sociétés. (…) l’archaïsme subsiste « en haut » parce qu’il subsiste aussi « en bas ». (…) Le bilan est sombre : hypertrophie du nationalisme, peu d’empressement dans la constitution d’un véritable Etat de droit (tout en en adoptant les formes et les procédures), faiblesse de l’esprit démocratique, républicain, laïque.»[6]
[1] René Rémond, op.cit. Page 135.
[2] René Rémond, op.cit. Page 142.
[3] Selon les analyses de :
Lucien Sfez, «Egalité », chapitre 2.2 « Le socialisme sans Marx» in Nouvelle histoire des idées politiques, dir. Pascal Ory, coll. « Pluriel », Hachette, 1987, Paris.
Pierre Ansart, chapitre 2.2.1. « La théorie politique face à la société industrielle. Saint-Simon et ses disciples » in Nouvelle histoire des idées politiques, dir. Pascal Ory, coll. « Pluriel », Hachette, 1987, Paris.
Armelle Le Bras-Chopard, chapitre 2.2.2. « Les premiers socialistes » in Nouvelle histoire des idées politiques, dir. Pascal Ory, coll. « Pluriel », Hachette, 1987, Paris.
Jean Bancal, chapitre 2.2.3. « Proudhon et son héritage » in Nouvelle histoire des idées politiques, dir. Pascal Ory, coll. « Pluriel », Hachette, 1987, Paris.

[4] Miklos Molnàr, La Démocratie se lève à l’Est, op. cit. Page 45-46.
[5] Miklos Molnàr, Histoire de la Hongrie, op. cit. Page 336.
[6] Miklos Molnàr, La démocratie se lève à l’Est, op. cit. Page 55.

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